La Paz s’étend entre 3600 et 4000 mètres d’altitude, à quelques kilomètres de la Cordillère Royale, un massif montagneux des andes et de l’altiplano bolivien.
Dans cette cordillère, plusieurs sommets sortent du lot et sont clairement visibles depuis la capitale, notamment le Huayna Potosi qui culmine à 6088 mètres. Ce sommet est réputé être un 6000 “facile”, du fait qu’aucune connaissance technique est nécessaire pour le gravir. Seul la gestion de l’effort et de l’altitude représentent la principale difficulté. 6088 mètres c’est l’objectif un peu fou que j’ai voulu tenter.
Ce que je suis sur le point de décrire, constitue l’expérience la plus difficile de ma vie, mais aussi la plus gratifiante et l’une des plus belles choses que la nature m’a permis de voir. Retour sur 3 jours d’expéditions sur le Huayna Potosi.
Jour 1 – camp de base :
à 2 heures de route de La Paz, arrivée à 4700m en minibus avec 7 autres autres grimpeurs et des guides. On nous sert rapidement notre premier lunch pour faire connaissance des autres participants, 3 suisses de Bâle, 1 bolivien, 1 Luxembourgeois, et 2 allemands de Dresde, je suis donc très bien entouré! Depuis le temps que je rêvais de rencontrer des “Dresdois” histoire de causer de leur magnifique ville…
Puis on s’équipe de nos chaussures à coque en plastique pour une petite heure de marche jusqu’à la base du glacier où l’on attache nos crampons, guêtres, harnais et casque. Ici on s’entraîne à marcher sur la glace en cordée et pour le fun à escalader un mur de glace. Sympa comme mise en bouche et un bon moyen de s’acclimater à l’altitude.
Retour au camp de base pour le goûter puis le souper et de bons rires. Faut dire qu’on est une bonne équipe. Mais à 21 heure, toute le monde au lit! Repos du guerrier avant la première difficulté. Pour moi ça commence mal, au moment de me coucher, un puissant mal de crâne me prend. J’ai pourtant bu une quinzaine de thé dont du maté de coca, sensé aider contre le mal de l’altitude… Un ibuprofène et je dors bien jusqu’à 7 heure.
Jour 2 – montée au refuge :
la première difficulté de cette expérience : 4km de marche entre 4700 et 5130 mètres avec notre sac de matériel d’alpinisme de plus de 15 kg. La journée commence par un petit-déjeuner à 8 heure, puis nous partons à 8 avec 5 guides peu après 9 heure, avec nos sacs handicapants. Nous marchons en fil indienne avec nos chaussures de marche très très lentement, car à cette altitude le moindre effort est essoufflant. Il s’agit donc ici de ne pas se mettre dans le rouge et de garder ses forces. Il fait beau, la montée est belle et se fait sans problème, mais dans la douleur quand-même à cause du sac… Arrivée après 2 bonnes heures au refuge à 5130m, où il ne reste qu’un peu plus de 50% d’oxygène par rapport au niveau de la mer… Pas mécontent de poser ce fardeau!
On profite de la vue et du beau temps, on s’installe puis on nous sert successivement le dîner à 12h00, des biscuits à 15h00, puis le souper à 17h00. S’en suit un dernier briefing concernant la grande journée du lendemain, puis à 18h00, tout le monde dans son sac de couchage! Il faut essayer de dormir.
Jour 3 – le jour de ma vie à 6088m :
réveil à minuit, j’ai dormi moins d’une heure, probablement préoccupé par l’issu de cette journée mais aussi à cause de ce satané mal de crâne qui a fait son retour.
Je me force à déjeuner, il n’est que 0h20, mais il me faut de l’énergie. Le programme débute ainsi : départ à 1h00 avec un sac plus léger puisque je porte tous les vêtements (2 couches pour le bas, 5 pour le haut) et je chausse ces bottes inconfortables surmontées de crampons et de guêtres, je me couvre de mon bonnet en polaire et laine puis du casque. Manque encore l’écharpe et gants, c’est qu’il fait froid à cette altitude au milieu de la nuit, surtout avec le vent. Pour finir, le harnais pour attacher la corde qui me relie à mon guide. C’est parti pour 6 heures éprouvantes de grimpe sur neige et glacier, entre crevasses et corniches.
La montée est difficile, non seulement à cause de l’altitude (départ à 5130m), mais aussi à cause de la raideur de certains passages qui se font à 65° d’inclinaison. Heureusement les crampons et piolet sont très efficaces, mais nous avançons très lentement. À chaque pas, le pied qui avance ne dépasse jamais l’autre, et tout mes mouvements sont très très lents, comme si j’étais dans une vidéo au ralenti, ou bien en apesanteur sur la lune. Mais non, c’est bien réel! Le ciel est magnifiquement étoilé mais je n’ai pas la force de l’observer, à vrai dire, j’avance la tête baissée, la bouche grande ouverte pour absorber le peu d’oxygène qu’il reste, tel un zombie dans la nuit la plus complète, à la seule lumière de ma lampe frontale éclairant la neige et la corde qui me relie à mon guide.
Je souffre! Et comme si ce n’était pas assez difficile comme ça, le vent se mêle de mon calvaire, soulevant neige et glaçons qui viennent fouetter mon visage, seule partie de mon corps exposée au -12 degrés ressentis. Seul point positif de cette montée nocturne, je ne vois pas la difficulté devant moi : impossible de savoir ce qui m’attend, et je ne pose aucune question, c’est mieux comme ça!
Quand le guide annonce une pause, je m’écroule sur mes genoux en appui sur mon piolet, la tête toujours baissée, je défais les lanières de mon sac pour me forcer à boire quelques gouttes du mélange isotonique style “Powerade” qu’on m’a fourni au refuge. Problème, le liquide a tendance à geler par ce froid entre chaque pause, il faut secouer la bouteille pour boire cette “granita” glacée.
Les pauses sont de moins en moins espacées. A chaque reprise, je m’étonne de la capacité de récupération qu’elle m’a fournie, en effet les premiers pas sont faciles et efficaces, mais après 10 secondes, c’est à nouveau l’enfer, comme si la pause n’avait servi à rien, chaque pas redevient un effort physique, sans parler de l’effort mentale. Il ne suffit pas de mettre un pied devant l’autre, il faut encore garder l’équilibre, qui a tendance à se perdre avec le manque d’oxygène, se concentrer pour conserver la bonne tension de la corde, et se forcer à ne pas abandonner, c’est pas si facile que ça!
Petit à petit j’aperçois le jour qui se lève. Malgré la beauté du spectacle, je commence aussi à apercevoir le sommet, ce fameux seuil des 6000 mètres qui me pousse à persévérer, la seule raison qui explique ma présence dans ce lieu si inhospitalier. Malheureusement la surprise est de taille : le dernier obstacle, les derniers 100 mètres, un mur à 60°!!
Il me faudra plus de 30 minutes pour parcourir ces derniers mètres, mais la récompense est bien là. Le spectacle qui s’offre à moi, cumulé à la fierté d’avoir réussi cette ascension est une sensation stupéfiante! C’est difficile de pleinement réaliser l’exploit, j’aimerais bien pouvoir rester des heures là haut, mais il faut déjà redescendre.
La descente justement, est plus rapide : 3 heures jusqu’au refuge où je peux enfin me délier de la cordée mais surtout déchausser ces bottes, manger une soupe bienvenue, refaire mon sac puis descendre au camp de base en 1 peu plus d’une heure supplémentaire.
Une fois en bas, je me retourne une dernière fois pour observer Huayna Potosi, ce sommet à 6088 mètres que j’ai gravi avec succès en ce mardi 13 octobre 2015, un jour qui restera gravé dans ma mémoire pour longtemps, et dans mes jambes pour quelques jours :-).
MISE A JOUR : Anne de Brisbane, compagnon de voyage aux Galapagos, a tenté l’ascension moins d’une semaine après moi. Malheureusement ça s’est moins bien passé que pour moi, mais elle en décrit très bien la difficulté dans son article à lire ici [ANGLAIS].
[…] Patrick made it too a few days before we went and wrote an awesome text too with incredible photos here. http://utopique.ch/2015/10/21/6088/#more-1941 […]
Wouahhhhhh! J’en reste bouche-bée! Tu peux être fier de toi!
Merci! C’était pas si difficile que ça à posteriori 🙂
(Marcel Patoulachi style)
Une victoire sur soi-même pour boucler la boucle…magique et magnifique! Bravo et à bientôt
magique….superbe! Bravo monsieur;-)
Petite mise à jour de l’article avec le lien de l’expérience de ma “travel-buddy” des Galapagos, Anne de Brisbane, qui a tenté l’ascension moins d’une semaine après moi. Malheureusement pour elle, ça s’est moins bien passé. Son texte [en anglais], à lire ici : https://pominsouthamerica.wordpress.com/2015/10/19/huayna-potosi-day-2/